Le Ciné-Club Jean Vigo, le plus ancien ciné-club de Montpellier, propose des films du patrimoine cinématographique mondial en version originale sous-titrée. Chaque film est précédé d’une présentation et suivi d’un débat avec le public.
Il contribue ainsi à la connaissance de l’histoire du cinéma 📽️
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🖊️ Le mot d’Hadrien Fontanaud, membre de l’équipe du Ciné-Club Jean Vigo :
Quand le mélo s’en mêle
Le visage d’une femme en larmes, des familles déchirées et réconciliées, le désir contraint par les interdits sociaux et moraux, tels sont les thèmes traditionnellement associés au mélodrame. Si dans le cinéma hollywoodien et, dans son sillage, dans la plupart des autres cinématographies, le mélodrame en tant que genre reste associé au féminin et à la famille, trouvant ses incarnations les plus emblématiques dans les films de Douglas Sirk, les qualités proprement mélodramatiques – le spectaculaire d’une action riche en retournements, l’exacerbation des passions, l’opposition paroxystique du bon et du mauvais, l’appel à l’émotion – dépassent de très loin les drames sentimentaux ou familiaux et caractérisent tous les grands genres populaires qui poursuivent le geste des grands romanciers et dramaturges du XIXe siècle comme Charles Dickens.
Né du chaos de la violence et du chaos de la Révolution française, le mélodrame répond à la faillite du sacré et de l’ordre dans un monde en plein bouleversement par une forme dont le caractère frénétique et paroxystique vise à réaffirmer une moralité occultée qui doit apparaître comme la plus évidente possible parce qu’elle est toujours profondément précaire. Le « happy end » qui caractérise tant de films populaires à Hollywood et ailleurs, plus qu’une fuite devant les difficultés du monde, est en fait un espoir fragile toujours arraché sur le fil d’événements catastrophiques et incontrôlables.
Fidèle à la tradition romanesque d’un Dickens, d’un Hugo ou d’un Balzac, le mélodrame au cinéma, plus qu’un simple genre, est la forme dramatique qui permet d’articuler les enjeux intimes (individuels, familiaux, sentimentaux) et collectifs (historiques, politiques, sociaux) et que l’on retrouve à la base de genres aussi divers que le western, le film de gangsters, le film en costume, le film social, le film de guerre. Tous ces genres sont représentés dans cette saison aussi bien le mélodrame familial et sentimental (La Leçon de piano, Tout ce que le ciel permet) que l’héritage du roman du XIXe siècle (Oliver Twist) et des films peut-être moins attendus comme Outrages ou Le Conformiste. Cette sélection entend rendre justice à la variété du mélodrame et à son immense influence, essentielle dans de nombreux récits.
Le mélodrame est la structure fondamentale de la plupart des fictions cinématographiques populaires. Il est à la fois un genre avec ses thèmes, situations et images spécifiques mais aussi une manière de raconter une histoire visant à susciter l’émotion du spectateur et à faire sens du monde (en retrouvant la moralité occultée ou en interrogeant les contradictions de cette moralité). L’émotion mélodramatique est affaire de spectacle et donc de mise en scène, et l’on peut distinguer deux pôles : l’excès baroque, la saturation, l’expressivité (la puissance opératique de Duel au soleil et de Senso ou l’expressionnisme d’Oliver Twist viennent à l’esprit) ou au contraire la retenue, l’ellipse, l’épure (comme dans les films de Naruse représentés ici avec Une Femme dans la tourmente), mais qui visent tous deux à susciter une émotion intense chez les spectateurs, alignés avec la reconnaissance morale d’un ordre retrouvé ou d’une faillite irrémédiable.